Compte-rendu de lecture : Royauté et politique / Royalty and Politics June 14, 2010

Compte-rendu de lecture de l’autobiographie de Fo Angwafo III, publié par Langaa, 2009. Par Kathryn Touré, 2010. « Je suis ce que mon père n’était pas, mais je ne pouvais évidemment pas être sans ce que mon père a été. »

A l’âge de 84 ans, le 20ième Fon ou roi de Mankon – dans le nord ouest du Cameroun – relate, en 70 pages, sa vie de l’époque coloniale aux habitudes du palais et nous régale avec 70 pages de « Ma vie en photos » – de la jeunesse du Prince aux prix etdistinctions. Dans ce récit, le lecteur apprend ce qu’il faut pour diriger, former une communauté, et façonner l’avenir. La terre, la culture, l’agriculture et l’éducation sont abordées tout au long du texte, conduisant à des leçons d’enracinement et d’ouverture.

L’histoire commence avec Anye, qui fréquente l’école des missionnaires et passe l’examen de la fonction publique, avec une option en agriculture, avant d’aborder des questions plus larges de développement communautaire et national. Anye travaille comme agent comptable « voyageant dans les exploitations agricoles dans et autour de Buea… J’étais dans le bureau de la tenue de registres, et dans les fermes, regardant les champs et voyant les gens… » (p. 10). Une fois obtenu son certificat de Cambridge Senior Secondary School et sur le point d’intégrer l’École des techniques agricoles à Ibadan, au Nigeria, ses collègues lui disent : «Pourquoi tu ne nous as pas dit que tu connais le livre? » (p. 10). En 1951, il fréquente l’Ecole d’agriculture d’Ibadan, et – animé d’un amour pour la terre et pour l’autosuffisance – de la même manière qu’il a cultivé des tomates et des choux quand il était à l’école primaire, il fait de nombreux petits boulots pour gagner de l’argent afin d’acheter des livres et de couvrir d’autres dépenses.

On pourrait penser que celui qui a été loin de chez lui pendant si longtemps pourrait être oublié quand il s’agit de la gouvernance locale. Mais la grosse surprise vient quand Anye rentre chez lui pour solliciter, comme veut la coutume, le nom de son enfant. A ce moment on lui demande de devenir roi. Malgré son désir de retourner à son travail, il n’a pas le choix, il est entre les mains de ses mères. À l’âge de 34 ans, il est confirmé Fo Mankon, et commence le voyage qui le mène de Salomon Anye à Fo Angwafo III. Les anciens apprécient leur nouveau roi, ancré dans la tradition et les techniques agricoles mais aussi ouvert aux idées acquises à l’école, aux chercheurs qui voyagent au Mankon, et aux gens d’horizons différents installés et faisant des affaires au Mankon. Ses capacités à allier le meilleur des mondes multiples rencontrent l’approbation des vieux.

Ayant tout juste été initié à la royauté, il ne faut pas longtemps à Fo Angwafo III pour se lancer dans la politique, où il sert pendant 25 ans. Il est élu à la Chambre de l’Assemblée du Cameroun et plus tard à l’Assemblée nationale, où il travaille jusqu’à sa retraite en 1988. Critiqué pour avoir assumé des rôles incompatibles, Fo Angwafo refuse « de souscrire à la dichotomie entre Fon et homme politique » (p. 29) et mène une vie durant laquelle il navigue entre l’autorité traditionnelle et l’État moderne avec le souci de les relier.

A son tour, il critique ceux qui se précipitent plutôt que de réfléchir au développement et insiste sur le fait que « nous devrions étudier nos institutions traditionnelles en même temps que le système importé que nous essayons de mettre en œuvre » (p. 40). Il fait valoir que les chefs auraient été relégués au rang symbolique et perçus comme simples auxiliaires de l’administration s’ils n’avaient pas pris les choses en main. Fo Angwafo III implore les chefs de continuer à négocier et de faire évoluer leurs positions de manière à être en phase avec à la vie politique moderne. Il demande, « Si la chefferie était autant incompatible avec la politique moderne et le pouvoir d’Etat bureaucratique, alors pourquoi devraient-ils avoir si désespérément besoin d’une reconnaissance au travers de titres traditionnels? », et donne l’exemple du titre de « Fon des Fons » conféré au Président Paul Biya (p. 41).

La place de l’éducation et de la terre dans cette autobiographie, comme mentionné plus haut, est importante. Selon Fo Angwafo:

« L’éducation est la clé de toute réalisation significative… Bien que l’éducation vienne nécessairement avec de nouvelles valeurs, je crois qu’un solide enracinement dans nos coutumes nous prépare le mieux à adapter les valeurs que nous adoptons à travers l’éducation… C’est seulement en produisant quelque chose que le diplôme devient une réalisation significative… Notre éducation doit renforcer plutôt que diminuer notre humanité et l’esprit communautaire. Elle doit susciter le rassemblement, pas l’individualisme. » (pp. 52, 63 et 65)

La terre est aussi « au centre de tout » (p. 59). Les Fons sont connus pour leur soutien à l’éducation et leur intérêt pour la communauté au travers de dons de terrains pour les premières écoles au Cameroun. Les terrains royaux ont été donnés en confiance, en vue de leur utilisation, mais pas pour être acquis. Fo Mankon explique la nécessité, même dans l’évolution vers un système de propriété foncière, de garantir que les terres soient utilisées pour le bien-être et la promotion des communautés. Ceci peut être réalisé par exemple en veillant à ce que les Fons en tant qu’autorités culturelles continuent à siéger aux conseils des écoles. La « capacité de négocier en tant que collectivité est liée à une certaine autorité sur la terre » (p. 54). Il ne faudrait pas y renoncer. La terre ne doit pas être abandonnée, mais transmise comme ressource culturelle pour être utilisée judicieusement dans l’intérêt de la collectivité.

Fo Angwafo III cherche à mettre la science et la recherche à la portée des enfants et petits-enfants de Mankon à travers une université et à « enrichir notre culture à travers les rencontres avec d’autres » (p. 68). En régnant sur le royaume, il a décidé de maintenir la culture du Mankon à travers et au delà des frontières, à la fois éloignée et proche. A travers une correspondance écrite et deux visites aux États-Unis au 21ième siècle, il a nourri la communication et le contact en vue de faciliter « un enrichissement à partir de Mankon et pour son développement de Mankon » (p. 60).

Que vont devenir les rois – chefs ou Fons ? Et le Palais, et le Parlement ? Sont-ils séparables et incompatibles ? Se chevauchent-ils, sont-ils enlacés, et enlace-ables ? Les Fons ont-ils un rôle dans les approches collectives pour revendiquer le pouvoir et les ressources nationales ? Quel sera leur rôle dans le soutien des mouvements vers des collectivités de plus grande envergure, sachant que « les grandes unions ne peuvent fonctionner que dans la mesure où elles sont bien ancrées dans les différentes localités qui les composent? » (p. 44). Les réponses se trouvent dans la lecture et la prévision, en adoptant et en adaptant, en dialoguant et en faisant des choix sur la forme des choses à venir. L’avenir se découvre aussi bien en regardant dans le rétroviseur que dans les rencontres des voyages de la vie ; c’est ce que nous apprenons d’Anye, de Fo Angwafo III de Mankon.

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